Lorsque le ligament scapho-lunaire est complètement rompu et qu’il s’y associe une déficience des attaches distales du socle scaphoïdien, une instabilité scapho-lunaire s’installe. Un diastasis scapho-lunaire, une position en extension du lunatum (DISI) et une sub-luxation rotatoire du scaphoïde apparaissent. Lorsque cette flexion pathologique du scaphoïde (angle radio-scaphoïdien > 45°) est encore réductible, et avant le stade d’arthrose, les traitements conservateurs visant à reconstruire une bonne congruence scapho-lunaire sont indiqués[1]. Parmi les différents gestes capsulaires, tendineux ou ligamentaires proposés dans la littérature, l’un d’entre eux, décrit par R. Berger[2], nous a particulièrement séduit et nous allons vous le décrire en détail.
Arthroscopie du poignet
Avant de réaliser la ligamentoplastie proprement dite, nous réalisons systématiquement une arthroscopie du poignet instable et douloureux. Celle-ci a pour but de visualiser le moignon de ligament scapho-lunaire et de confirmer qu’il ne possède plus aucun potentiel de cicatrisation. Elle permet de tester la bonne réductibilité de la flexion du scaphoïde, qui doit être facile, en appuyant sans forcer sur la facette capitale du scaphoïde à l’aide du crochet palpateur, introduit en médio-carpien. Elle permet enfin d’inspecter finement tous les cartilages en présence, surtout le pôle proximal du scaphoïde, la facette scaphoïdienne du radius et la styloïde radiale, car ils seront les premiers à présenter une arthrose[3].
Si les données arthroscopiques confirment l’indication de ligamentoplastie scapho-lunaire, la technique consistant à utiliser le ligament inter-carpien dorsal est alors proposée.
Technique chirurgicale
Sous anesthésie locorégionale et garrot pneumatique gonflé à la racine du bras, la voie d’abord est dorsale et transversale, rejoignant les points d’entrée radio-carpiens de l’arthroscopie (voies 3-4 et 4-5). Ceci est une variante de la technique originale qui présente comme seul intérêt d’être un peu plus esthétique, car dissimulée dans le pli d’extension du poignet, surtout chez la femme jeune.
Le retinaculum des extenseurs est fendu longitudinalement dans sa moitié distale entre le troisième et le quatrième compartiments. Le nerf interosseux postérieur est systématiquement avulsé.
R. Berger[4] a insisté sur l’importance qu’il faut accorder aux points de repère osseux avant de réaliser la capsulotomie et nous suivons ses indications scrupuleusement. L’idée est de réaliser une voie d’abord respectant les ligaments radio-carpien dorsal (RCD) et inter-carpien dorsal (ICD) (Figure 1).
Figure 1
Ces points sont (Figure2):
Figure 2
1 : Le milieu du segment compris entre le tubercule de Lister et l’articulation radio-ulnaire distale, qui donne le centre de l’attache radiale du ligament RCD.
2 : Le sommet du tubercule dorsal du triquetrum, vers lequel convergent les ligaments RCD et ICD.
3 : L’articulation scapho-trapézienne, qui donne la zone d’insertion distale du ligament ICD.
La capsule est alors levée comme un volet à attache radiale. La moitié proximale du ligament ICD est elle aussi levée sur son attache scaphoïdienne (Figure 3).
Figure 3
Deux broches Joysticks de 1,2 mm de diamètre plantées dans le scaphoïde et le lunatum (Figure 4) sont utilisées pour réduire le diastasis scapho-lunaire, la flexion du scaphoïde et l’extension du lunatum (Figure 5).
Figure 4
Figure 5
Deux broches parallèles maintiennent la réduction du couple scapho-lunaire et une broche scapho-capitale neutralise les forces entrainant le scaphoïde en flexion (Figure 6).
Figure 6
Le ligament ICD est alors inséré sur la corne postérieure du lunatum à l’aide d’une ancre intra-osseuse (Figure 7).
Figure 7
La pointe triquétrale du lambeau capsulaire est suturée à sa place par un point de fil résorbable. Il nous semble, du moins en per-opératoire, que cette fermeture capsulaire à minima très anatomique, minimise la perte de flexion du poignet.
Le rétinaculum des extenseurs est refermé seulement dans la moitié proximale de sa portion ouverte. Les broches sont coupées sous la peau, afin qu’elles gênent le patient le moins possible, (Figure 8) et sont retirées à la sixième semaine.
Figure 9
Figure 10
Une orthèse antibrachio-palmaire en position neutre du poignet et libérant complètement les articulations métacarpo-phalangiennes des doigts longs et du pouce est portée pendant six semaines.
A l’ablation des broches, la rééducation douce et progressive du poignet est commencée.
Série clinique
1. Matériel et Méthode
Notre expérience de cette intervention porte sur plus d’une centaine de patients maintenant.. Ils ont été opérés par un seul opérateur, depuis plus de 10 ans. Tous présentaient une instabilité scapho-lunaire chronique datant de plus de 3 mois, d’origine traumatique. L’âge moyen était de 28 ans. Le délai moyen entre le traumatisme et l’intervention était de 10 mois (3 mois à 5 ans). Chaque patient était évalué cliniquement en préopératoire et aux 3°, 6°, 12° et 24° mois postopératoires par le chirurgien.
Les amplitudes en flexion-extension et en inclinaison radiale et ulnaire du poignet douloureux et du poignet sain étaient relevées, ainsi que la force de serrage du poing au dynamomètre de Jamar.
Le bilan radiographique statique et dynamique comparatif était réalisé systématiquement aux mêmes périodes. Le bilan dynamique comprenait une face en inclinaison radiale, une face en inclinaison ulnaire, et une face en supination poing fermé.Les angles radio-lunaire et scapho-lunaire ainsi que l’espace scapho-lunaire étaient mesurés pour chaque série de clichés aux différentes périodes.
Figure 8
Chaque patient a bénéficié d’une arthroscopie du poignet afin de quantifier le degré d’instabilité selon notre classification[5] et de vérifier l’absence d’arthrose, la bonne réductibilité de la flexion du scaphoïde et l’absence de lésion ligamentaire associée.
La technique chirurgicale utilisée était strictement celle décrite plus haut.
9 complications doivent être rapportées pour cette série : 4 sepsis superficiels sur broches, n’ayant pas contraint à l’ablation anticipée de matériel. Un cas a du être réopéré deux ans plus tard pour curetage et comblement d’un kyste du lunatum s’étant formé autour d’une ancre résorbable, sans conséquence sur la tenue de la capsulodèse. Deux patients ont développé un rejet des broches ayant conduit à leur ablation prématurée. Ils ont du etre réopérés : les os de la premiere rangée du carpe ont été retirés et remplacés par un implant Amandis en pyrocarbone. Il a été decouvert à posteriori qu’ils étaient allergiques au nickel présent dans les broches. Deux patientes ont vu leur ligamentoplastie se détendre avec le temps et ont du beneficier d’une arthrodese scapho-luno-capitale.
2. Résultats
Les auteurs ont comparé leurs résultats aux séries de ténodèses au Flexor Carpi Radialis de Moran et al.[6], Garcia-Elias et al.[1], Talwalkar et al.[7], Chabas et al.[8] et à la série de capsulodèse au ligament intercarpien dorsal selon Berger de Moran et al.6 dans le traitement de l’instabilité scapho-lunaire chronique : Tableau I
Moran (Brunelli) | Moran (Berger) | Garcia-Elias (Tenodese 3LT) | Talwalkar (Tenodese 3LT) | Chabas (Brunelli modifié) | Dreant (Berger) | |
Douleur modérée0-3 | 27% | 43% | 73% | 62% | 80% | 58% |
Extension | 43° | 49° | 52° | 55° | 50° | 56° |
Flexion | 40° | 44° | 51° | 45° | 41° | 48° |
Inclinaison radiale | 16° | 19° | 16° | 18° | 24° | 22° |
Inclinaison ulnaire | 26° | 26° | 29° | 29° | 29° | 30° |
Force de serrage | 87% | 91% | 65% | 80% | 78% | 88% |
Espace scapho-lunaire | 2,6mm | 4mm | 2,4mm | 3mm | ||
Angle scapho-lunaire | 54° | 66° | 62° | 64° |
3. Discussion
Le gain obtenu en termes de force et de douleur est comparable aux autres séries. Les amplitudes postopératoires du poignet en flexion et en extension sont par contre moins diminuées par cette technique. Elle semble donc faire partie des alternatives thérapeutiques à retenir pour la restitution d’une stabilité du couple scapho-lunaire car elle est efficace et relativement peu enraidissante Figures 11,12,13,14. La revue des patients de cette série dans 10 ans sera très intéressante, surtout en ce qui concerne le maintien de l’espace scapho-lunaire ainsi que l’apparition éventuelle d’arthrose.
Figure 11
Figure 12
Figure 13
Figure 14
Références bibliographiques
1. Garcia-Elias M, Lluch A, Stanley JK, MChOrth. Three-Ligament Tenodesis for the treatment of Scapholunate Dissociation : Indications and Surgical Technique. J Hand Surg 2006; 31A :125-134.
2. Walsh JJ, Berger RA, Cooney WP. Current status of scapholunate interosseous ligament injuries. J Am Acad Orthop Surg 2002; 10 :32-42.
3. Watson HK, Ballet FL. The SLAC Wrist : scapholunate advanced collapse pattern of degenerative arthritis. J Hand Surg 1984; 9A : 358-365.
4. Berger RA. Palpable Landmarks for Dorsal Wrist Capsulotomy. J Hand Surg 2007; 32A :1291-1295.
5 . Dreant N, Dautel G. Development of an arthroscopic severity score for scapholunate instability. Chir Main. 2003;22(2):90-94.
6. Moran SL, Ford KS, Wulf CA, Cooney WP. Outcomes of Dorsal Capsulodesis and Tenodesis for Treatment of Scapholunate Instability. J Hand Surg 2006 ;31A :1438-1446.
7. Talwalkar SC, Edwards AT, Hayton MJ, Stilwell JH, Trail IA, Stanley JK. Results of tri-ligament tenodesis: a modified Brunelli procedure in the management of scapholunate instability. J Hand Surg [Br]. 2006 Feb;31(1):110-7.
8. Chabas JF, Gay A, Valenti D, Guinard D, Legre R. Results of the modified Bunelli tenodesis for treatment of scapholunate instability: a retrospective study of 19 patients. J Hand Surg [Am]. 2008 Nov;33(9):1469-77.