Le rugby finger (ou Jersey finger) est l’avulsion du tendon fléchisseur commun profond (FCP) des doigts atteignant quasi exclusivement le quatrième doigt (80 %). C’est un traumatisme rare, survenant essentiellement lors de la pratique du rugby, mais aussi du football « américain » et du judo [8]. Il faut savoir en faire le diagnostic en urgence car si les résultats chirurgicaux sont de bonne qualité dans les lésions fraîches, le handicap fonctionnel peut être important pour la fonction de la main en cas de retard ou de méconnaissance diagnostique.

Historique

Cette lésion a été décrite en 1960 par Gunter chez huit rugbymen de l’hémisphère Sud [5]. En 1970, Carroll rapporte 35 cas, soulignant la gravité des lésions anatomiques en cas de rétraction du tendon FCP du quatrième doigt dans la paume. D’autres courtes séries sont rapportées [2] et une classification en trois types selon l’importance de la rétraction tendineuse et d’une lésion osseuse associée est proposée dans la littérature anglo-saxonne par Leddy et Packer en 1977 [8], puis en France par Mansat et Bonnevialle en 1985, à propos de 19 cas [9]. Smith en 1981 décrit un Type 4, comprenant arrachement osseux de P3 et désinsertion du tendon FCP. El Qattan, en 2001, complète cette classification en quatre types avec un Type 5 par arrachement osseux et fracture transversale de la phalange distale (P3).

Mécanisme et lésions anatomiques

L’arrachement de l’insertion du tendon FCP de l’annulaire se produit toujours lors de l’agrippement du maillot pendant un plaquage ou une autre phase de jeu. Les doigts longs sont fortement fléchis sur le maillot, notamment les trois doigts ulnaires, et la lésion survient par hyperextension brutale de la phalange distale du IV, notamment lorsque l’adversaire continue d’avancer. Les forces d’extension de la phalange distale deviennent supérieures à la résistance du tendon fléchisseur entraînant sa désinsertion. La vascularisation extrinsèque (vincula) du tendon FCP est lésée en même temps que le tendon déterminant le degré de gravité et justifiant la classification en plusieurs types. Si le vinculum court est toujours déchiré car très distal, le vinculum long plus proximal peut rester intact.

  • Le Type 1 de Mansat ( Fig. 1), le plus fréquent en urgence, est une rétraction modérée du FCP qui se bloque en regard de l’articulation interphalangienne proximale ou de la phalange proximale (P1), le vinculum long est généralement intact.

  • Le Type 2 comporte un arrachement de ce vinculum long et le tendon se rétracte plus proximalement, parfois jusqu’à la paume. La dévascularisation tendineuse contemporaine de la lésion compromet alors la réinsertion tendineuse distale et majore les adhérences cicatricielles. Il représente 25 % des cas vus en urgence.
  • Le Type 3 ( Fig. 2) comporte un arrachement osseux articulaire de la base de P3, qui se bloque distalement. Ce dernier type est plus rare (5–24 %).

  • Le Type 4 représente 5 % des cas de la série de Roulot [13].

L’atteinte quasi exclusive de l’annulaire est l’objet de plusieurs hypothèses :

  • une plus grande fragilité de l’insertion distale du FCP sur le quatrième doigt avec une force d’arrachement du tendon plus faible que pour les autres doigts [6] ;
  • la double insertion du troisième lombrical sur les tendons fléchisseurs du IV ;
  • les connexions tendineuses avec les troisième et cinquième doigts ;
  • la plus grande longueur relative du quatrième rayon lors de l’hyperflexion des doigts lors du mécanisme d’agrippement. Enfin, d’un point de vue lésionnel, il faut signaler la possible avulsion des deux tendons fléchisseurs du quatrième doigt [12].

Diagnostic

Le diagnostic lésionnel est souvent méconnu en urgence : 50 % de diagnostic positif seulement pour Mansat et Roulot [9], et 25 % pour Mauro [11].

La clinique est pourtant fortement évocatrice. Le joueur, suite à un plaquage contrarié ou à un agrippement du maillot, ressent une douleur violente de l’annulaire, remontant parfois à la paume et à l’avant-bras. L’inspection retrouve une éventuelle ecchymose digitale d’apparition rapide ( Fig. 3).

Il ne lui est pas possible de fléchir activement la phalange distale, ce qui doit être recherché en urgence ( Fig. 4).

La palpation du doigt est douloureuse, retrouvant parfois une tuméfaction remontant à la paume : elle correspond au moignon distal du FCP rétracté.

Une radiographie du doigt de face et surtout de profil permet d’éliminer une fracture de phalange et de vérifier l’existence d’un fragment osseux palmaire signant un Type 3, 4 ou 5 ( Fig. 5).

Quand l’examen radiographique est négatif, une échographie ou une IRM peuvent être réalisées, affirmant le diagnostic et montrant le degré de rétraction tendineuse [3].

Traitement

Cette lésion est une urgence chirurgicale qui nécessite une prise en charge spécialisée. Le diagnostic est clinique et le type est déterminé par un bilan radiographique et éventuellement une IRM.

Le Type 1 nécessite, jusqu’au 10e–20e jour, une réinsertion distale du tendon FCP sur P3. Les moyens de fixation du tendon sur l’os sont : soit un passage transosseux des fils de suture (Pull-out de Bunnell) avec une suture extériorisée appuyée sur l’ongle ou la pulpe, soit une fixation par mini-ancre introduite dans P3 [1].

Dans le Type 2, la dévascularisation de l’extrémité tendineuse compromet les résultats des réinsertions. Dans les cas vus tôt (avant le dixième jour), il peut être licite de tenter cette réinsertion si le tendon peut être ramené au niveau de la base de P3, en étant prudent lors des passages tendineux dans le canal digital. En cas de rétraction modérée, la réinsertion peut se faire sur une languette de plaque palmaire ou par un allongement au poignet du tendon FCP. La suture doit être protégée pendant les premières semaines de rééducation postopératoire. Dans les cas plus tardifs ou si le tendon est trop contus, il est préférable de réséquer le FCP. Une stabilisation de l’articulation interphalangienne distale (IPD) est alors réalisée dans le même temps par capsulodèse palmaire et/ou ténodèse et brochage en flexion de trois semaines.

Les Types 3 et 4 nécessitent une ostéosynthèse du fragment, actuellement au mieux réalisée par mini-vissage simple ou double en fonction de la taille du fragment. Si celui-ci est trop petit, une ostéosuture au fil non résorbable appuyée sur la tablette unguéale est réalisée ( Fig. 6). Les résultats de ces différents actes chirurgicaux sont bons dans les cas vus tôt.

Dans les cas anciens, il faut prendre en compte la gêne fonctionnelle occasionnée par la perte de flexion active de l’IPD et la mobilité de l’IPP [7]. Le choix thérapeutique va de l’abstention à la greffe tendineuse en un ou deux temps en cas de conservation des mobilités et d’exigences fonctionnelles du patient. Il faut cependant connaître l’inconstance des résultats de cette chirurgie reconstructrice tardive. La résection du tendon FCP avec ténocapsulodèse s’adresse aux cas enraidis, notamment avec flessum de l’IPP et l’arthrodèse de l’IPD est une alternative intéressante dans les instabilités de cette articulation.

Conclusion

Le rugby finger est une lésion rare atteignant exclusivement en Europe les joueurs de rugby et de judo. On la rencontre récemment aussi en pratique du football où les agrippements sont souvent tolérés. Son diagnostic est essentiellement clinique. Un bilan radiologique, échographique, voire IRM détermine le type de la lésion qui oriente le geste chirurgical. Quand le diagnostic est fait rapidement, les résultats de cette chirurgie spécialisée sont bons. Malheureusement, cette lésion est souvent méconnue et il est indispensable de sensibiliser les joueurs et l’équipe médicale. La prévention est difficile. Le changement de texture et d’élasticité des maillots peut être une voie, mais nécessite un travail prospectif pour en confirmer l’intérêt épidémiologique.

1 : Bonin N, Obert L, Jeynet P, Garbuio P, Tropet Y. Réinsertion du tendon fléchisseur par ancre de suture: étude prospective continue avec mobilisation active précoce. Chir Main 2003;22:305-311.
2 : Chang WH, Thoms OJ, White WL. Avulsion injury of the long flexor tendons. Plast Reconstr Surg 1972;19:35.
3 : Cohen SB, Chhabra AB, Anderson MW, Pannunzio ME. Use of ultrasound in determining treatment for avulsion of the flexor digitorum profundus (rugger jersey finger): a case report. Am J Orthop 2004;33:546-549.
4 : Folmar RC, Nelson CL, Phalen CS. Rupture of the flexor tendons in hand of non rhumatoid patients. J Bone Joint Surg 1972;54 A:579.
5 : Gunter J. Traumatic avulsion of the insertion of flexor digitorum profundus. Aust NZ J Surg 1960;30:1-9.
6 : Holden CEA, Northmore C, Ball G. The strength of the profundus tendon insertion. The Hand 1975;7:238-240.
7 : Honner R. The late management of the isollated lesion of the flexor digitorum profundus tendon. Hand 1975;7:171.
8 : Leddy JP, Packer JW. Avulsion of profundus tendon insertion in athletes. J Hand Surg 1977;2:66.
9 : Mansat M, Bonnevialle P. Avulsion traumatique du fléchisseur commun profond. À propos de 19 cas. Ann Chir Main 1985;4:185-196.
10 : Manske PR, Lesker PA. Avulsion of the ring finger flexor digitorum profundus tendon and experimental study. The Hand 1978;1:52-55.
11 : Mauro E, Mencarelli P. Closed traumatic rupture of the insertion of the flexor digitorum profundus tendon. Handchir Mikrochir Plast Chir 1987;19:161-164.
12 : Ogün TC, Ozdemir HM, Senaran H. Closed traumatic avulsion of both flexor tendons in the ring finger. J Trauma 2006;60:904-905.
13 : Roulot E, Ebelin M. Rugby finger, À propos de 36 cas. FEESH; 1996.
14 : Tan V, Mundanthanam G, Weiland AJ. Traumatic simultaneous rupture of both flexor tendons in a finger of an athlete. Am J Orthop 2005;34:505-507.